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PATRIMOINE HISTORIQUE

PETITE HISTOIRE DES PAVES FAIENCES AU PAYS D'AUGE

Les premiers pavements en terre cuite apparaissent dès le 12e Siècle en Europe. Ils se substituent aux luxueux sols de mosaïque en pierre et marbre, formés de petits cubes juxtaposés appelés "tesselles", répandus à travers le monde médiéval par l'antiquité romaine. L'essor important de la construction au 11e Siècle, l'épuisement des gisements de marbre et le faible coût de la matière première ont favorisé l'émergence et le succès de ces pavages céramiques qui imitent les formes et les couleurs des anciens dallages. Cette technique nouvelle, empruntée aux potiers, associe au travail de la terre l'emploi de la glaçure plombifère, enduit vitrifiable transparent qui assure l'étanchéité du pavé et autorise l'obtention de couleurs différentes. Comme l'atteste l'archéologie, la glaçure est un procédé très ancien qui disparaît à partir du 5e Siècle pour réapparaître au 9e Siècle. Elle est introduite en Europe par les arabes et par les croisés qui rapportent des contrées lointaines ces "majoliques chatoyantes"(1) bientôt imitées par les potiers du pays.

Cependant, l'une des découvertes les plus originales reste, sans conteste, celle de l'émail stannifère qui associe à la glaçure plombifère une certaine quantité d'oxyde d'étain. Il en résulte un émail blanc, onctueux, opaque et satiné, utilisé déjà par les assyriens et les perses. Les potiers arabes et les espagnols de Majorque l'introduisent en Italie au 13e Siècle. De la ville de Faenza provient l'appellation de "faïence" qui sera donnée aux céramiques fabriquées avec ce procédé. Cet émail stannifère est aussi utilisé pour orner les carreaux de pavement. Les premiers carrelages faïencés apparaissent dès le 13e Siècle dans le Midi et dans le Nord de la France. En Normandie, il faut attendre le 16e Siècle et les créations du Rouennais Masséot Abaquesne pour trouver des pavés faïencés, principalement dans les églises et les châteaux. Mais, c'est au Pays d'Auge, vers le milieu du 17e Siècle, que vont apparaître les premiers carreaux faïencés véritablement originaux et emblématiques. Ils sont appelés pavés "Joachim", du nom de leur créateur, Joachim Vattier, ou pavés faïencés "de Lisieux" et sont voués à une très grande renommée.

Les poteries du Pré-d'Auge et de Manerbe prennent dès le 14e Siècle une place très importante dans la production céramique bas-normande. De ces ateliers sortent des milliers de pavés glaçurés, ornés de nombreux types de décors estampés à l'aide d'une matrice et remplis d'un engobe blanc (2). Ces pavés sont semblables à ceux qui sont fabriqués dans de nombreux autres ateliers médiévaux.

C'est vers le milieu du 17e Siècle que Joachim Vattier (né en 1620-22, mort en 1709), domicilié au Pré-d'Auge, potier de son état, fils de Joachim Vattier, attesté comme sculpteur en 1622, lui-même fils de potier, imagine de fabriquer des pavés, à l'aide d'une technique nouvelle, plus élaborée que celle des pavés figurés précédents. Le pavé est d'abord recouvert d'un engobe blanc. Puis après un début de séchage, l'esquisse du décor géométrique ou floral est gravée dans cet engobe. Après une première cuisson, le pavé est prêt à recevoir ses couleurs. La juxtaposition des émaux forme une mosaïque que imite les produits de l'art hispano-mauresque :

"L'émail en fusion laisse des inégalités, des coulures, des différences d'épaisseur et par conséquent, de translucidité qui avivent la vibration des couleurs" (1).

Et comme le remarque encore Etienne Deville, spécialiste en la matière au début de ce siècle, ce procédé de fabrication souligne l'influence italienne au Pré-d'Auge car il dérive en droite ligne des pavés de Girolamo Della Robia, provenant du Château de Madrid au Bois de Boulogne (1488 - 1556). Les couleurs dominantes sont le bleu tendre, le bleu soutenu, le violet, le jaune, le vert, le marron qui se détachent sur un fond blanc. Les décors, variés, offrent des combinaisons géométriques, des entrelacs et des motifs floraux. Certains carreaux présentent aussi un décor vermiculé polychrome lorsque le pavé, enduit d'un engobe blanc n'est pas gravé mais subit aussi deux cuissons. Les motifs sont généralement répartis sur un ensemble de quatre carreaux et offrent de larges compositions qui se complètent de bordures, d'angles etc.

Au revers, quelques-uns de ces pavés ont pu recevoir une marque estampée, qui figure une croix à quatre feuilles. C'est la marque que Joachim Vattier semble avoir réservée pour les pavés de choix.

Ces pavés, dits "de Lisieux" vont rencontrer un grand succès. A la différence des pavés glaçurés et non faïencés du Pré-d'auge et de l'ensemble des autres centres de fabrication dont on retrouve le modèle un peu partout en France et en Europe, les pavés faïencés "Joachim" ont pour originalité cette polychromie qui en a fait une singularité régionale.

De prime abord, ces pavés sont conçus pour orner les châteaux et manoirs normands mais aussi les édifices religieux (églises, abbayes...). Etienne Deville énumère un certain nombre d'églises du Pays d'Auge où il a constaté, au début de ce siècle, la présence de pavages en carreaux "Joachim" : aux Monceaux, à La Pommeraye, à Launay, à Reux, à Grandouet (2), où l'on peut observer la grande diversité des décors et le soin accordé à la couleur.

Claude Lemaître y ajoute l'abbatiale de Saint-Pierre-sur-Dives qui voit en 1682 le sol de l'une de ses chapelles remanié avec des dalles calcaires formant un décor cruciforme, complété d'un ensemble de pavés "de Lisieux" comprenant des pavés vermiculés polychromes fabriqués par Joachim Vattier (3).

L'église du Pré-d'Auge n'est pas en reste : au 17e Siècle, sa décoration intérieure est totalement refaite en pavés "Joachim". Comme le souligne Claude Lemaître dans son étude à ce sujet, "cette oeuvre s'inscrit dans l'esprit du réveil religieux et de son expression artistique dans les églises rurales du Pays d'Auge au 17e Siècle" (1).

En 1867, un architecte lexovien, membre de la société historique de Lisieux, Arthème Pannier, note pour le compte de la statistique monumentale du Calvados que l'emmarchement d'autel de la chapelle septentrionale était encore orné "d'un pavage émaillé, qui paraît dater du règne de Louis XIV. Les carreaux dont l'émail est parfaitement conservé, offrent un fond alternativement blanc et bleu, décoré de losanges garnis de quatre-feuilles. Lorsque le fond est bleu, les pétales formant les quatre-feuilles sont jaunes ; sur le fond blanc, les pétales formant les quatre-feuilles sont bleus. Dans les angles inférieurs se dessinent des fleurs de lis. Tous ces pavés sont des produits de l'industrie locale" (2).

Etienne Deville précise encore que "l'église du Pré-d'Auge avait un de ces autels exécuté par les potiers du 17e Siècle. Pannier en avait retrouvé des fragments dans le clocher de l'église et Monsieur de Mély en avait fait un croquis. Le fond de l'autel était formé de pavés vermiculés à l'émail multicolore, encadré par de jolies moulures formés d'un tore et d'un listel. Le devant du tombeau était décoré de trois médaillons, dont deux seulement existaient encore. Les brocanteurs de Lisieux ont, vers 1880, dispersés ces curieux restes..." (3).

Par ailleurs, Claude Lamenter émet l'hypothèse que dans l'église du Pré-d'Auge, le sol pouvait être entièrement tapissé de pavés "Joachim" (4).

Malheureusement, de cette magnifique oeuvre ornementale ne subsiste aujourd'hui presque rien. Seul le piédestal de la statue de Saint Méen a échappé aux diverses entreprises de rénovation de l'église et conserve encore ces précieux pavés faïencés fabriqués par Joachim Vattier.

Les Vattier occupent, pendant la seconde moitié du 17e Siècle et le début du 18eSiècle une position sociale importante dans la Paroisse du Pré-d'Auge. Dans son contrat de mariage du 27 Septembre 1689 avec Marie Gosset, Joachim Vattier est désigné comme "sieur du Pray, maistre fayencier en carreaux" (5).

Il est inhumé dans l'église du Pré-d'Auge le 12 Décembre 1709, à l'âge de 87 ans, à la demande de sa femme et de ses enfants.

La popularité de Joachim Vattier et de ses carreaux faïencés ne s'arrête pas à ces frontières régionales mais rejoint les lieux où s'exerce et s'apprécie ce qui se fait de mieux en matière de création artistique.

Ainsi, sa renommée atteint bientôt Versailles où, entre 1670 et 1715, un nombre considérable de pavés "de Lisieux" sont livrés pour décorer "le Trianon de porcelaine" (détruit en 1685) ou encore l'intérieur des cheminées de la demeure royale. Un seul de ces brillants carreaux subsiste à la bibliothèque de Versailles (quelques autres sont répartis dans les musées de Cluny, Sèvres et Cologne).

A partir de 1692, les pavés "de Lisieux" sont fournis par Branlard, faïencier à Paris, qui devait les prendre directement chez Joachim Vattier ou ses successeurs. L'usage du pavé faïencé était apprécié par les architectes en renom dont Jules Hardouin Mansard. Dans les "comptes des bâtiments du Roi", les pavés sont appelés "carreaux émaillés, carreaux de faïence, carreaux de Lisieux" (1).

Douze mille carreaux "de Lisieux" sont également livrés au Château de Marly.

D'abord en 1713, par Montreuil, inspecteur des bâtiments du roi, qui en achète huit mille ; ensuite de janvier à Avril 1714, par Desjardins, contrôleur des bâtiments du roi, qui en réserve quatre mille.

Les décorateurs du domaine de Marly créé pour "un caprice superbe" (2) de Louis XIV, adoptent de 1712 à 1714 les pavés "Joachim" pour orner, de manière très originale, les "bassins de fayance" du château (3). Six bassins sont recouverts de carreaux émaillés polychromes : autour du pavillon royal, les Bassins des carpes ; de chaque côté de la terrasse supérieure, les Fontaines des Nymphes. Le revêtement de la Fontaine d'Aréthuse est aussi fait de pavés "de Lisieux".

Ailleurs, d'autres carreaux viennent de la manufacture de Saint-Clous qui copie, sur commande, les formes et les motifs des pavés normands. La mort du roi en 1715 met un terme à cet ouvrage. Les vestiges de ces carreaux sont conservés au Musée promenade de Marly-Le-Roi-Louveciennes qui possède une centaine de fragments.

Bruno Bentz, qui a réalisé cette étude approfondie sur les pavés faïencés du Château de Marly, rapporte également les informations suivantes : cinq séries ont été retrouvées avec, parfois, des variantes dans la texture, dans la couleur des glaçures et dans le détail des motifs. La plupart de ces pavés sont carrés (11,5 x 11,5 cm). Quelques-uns sont rectangulaires (6 x 11,5 cm). Leur épaisseur est variable (1,5 à 2cm).

La renommée des carreaux de Lisieux survit longuement à leur créateur : en 1770, un certain Sieur Dumont crée à Rouen une manufacture de pavés "de Lisieux" qui fonctionne jusqu'à la fin du 18e Siècle.

A la même époque, une "maison de fayance", mentionnée sous ce titre dans le recensement de l'état civil de 1816, est construite au Pré-d'Auge pour promouvoir le pavé "de Lisieux" dont la fabrication et le renom persistent. Marie-Anne Leroy, de la famille des Vattier y réside. Selon Monsieur de Caumont, la façade seule est revêtue de carreaux en terre cuite émaillée. Les carreaux placés entre les colombages datent du 17e Siècle, les uns sont décorés de palmes et groupés par quatre pour former une rosace. D'autres, à motif floral, présentent une large bordure chinée bleu et blanc. Une croix en sautoir orne un pavé isolé (4).

Cette maison a, depuis, été détruite. Elle rappelle, d'après l'Abbé Lefèvre, une autre "maison de faïence", celle du manoir-ferme de La Boqueterie, où étaient établis les Vattier. Elle renfermait une chambre dont le sol et les murs étaient entièrement tapissés de carreaux émaillés, entourés par de larges encadrements de chênes (1).

Cette salle servait sans doute de support de démonstration pour la clientèle du potier du Pré-d'Auge. A la fin du 19e Siècle, le propriétaire de ce manoir fait enlever ces pavés pour les transporter dans son Château de Thuit (Eure).

Les pavés restent à l'abandon avant d'être rachetés à sa mort par Monsieur Montier, Maire de Pont-Audemer, en 1902. Quelques-uns sont visibles au Musée de Lisieux (Musée du Vieux Lisieux).

Aujourd'hui, après plus de trois cents années, le nom des Vattier est encore bien présent dans la mémoire régionale du Pays d'Auge même s'il n'est pas toujours associé aux remarquables pavés faïencés dont il ne subsiste, en définitive, que peu de traces.

L'ouvrage du temps, et surtout celui des hommes, ont eu raison de l'oeuvre du "maistre fayencier". La valeur historique des pavés faïencés "Joachim" est encore augmentée par leur rareté. Seuls quelques carreaux, derniers témoins de cette richesse régionale, subsistent ici ou là sur quelques sites privilégiés.

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